Stéphane Colin
Saxophoniste/Compositeur
Le relevé/écriture de chorus et composition
1/le relevé :
Arrêtons-nous un instant sur ce point emblématique du travail du jazz. Le relevé est un travail de l'oreille. C'est plus particulièrement un travail de l'instrument autour du langage mélodique/timbral du phrasé du soliste que l'élève relève. C'est un travail d'inspiration des idées développées par le musicien "repiqué". « Développer le lien entre l’écoute, l’oralité et l’écriture musicale ».
L'écoute attentive de plusieurs versions, doit logiquement déboucher sur l'apprentissage "d'oreille" (appelé repiquage) de fragments mélodiques de solos improvisés. Les élèves débutants se limiteront à quelques phrases ou motifs, ceux de niveau moyen apprendront à transcrire ces phrases sur papier à des fins d'analyse, et enfin les élèves avancés iront jusqu'à la reproduction intégrale d'un solo.
Les phrases donneront une première familiarisation avec le sens rythmique, l'articulation, le développement de l'oreille, l'intégration des données culturelles sur le saxophone.
La transcription et l'analyse donneront le point de départ d'exercices, de transformations et serviront à la construction d'un vocabulaire propre.
Cette analyse permettra de susciter la curiosité des élèves, de les inciter à trouver leurs propres réponses et à développer leur esprit critique. Enfin la reproduction intégrale favorisera l'intégration d'un style ainsi que la mémorisation.
On peut également proposer à un élève de repiquer le chorus d'un autre instrument que le sien, ainsi l'élève est alors obligé d'inventer un phrasé ou une technique personnelle liée à son instrument. Ce type de dispositif a été proposé par le saxophoniste Steve Coleman lors d'un stage chez "Selmer Paris" qui nous expliquait, que lorsqu'il "repique" un morceau de Charlie Parker, il relève aussi bien le solo de saxophone que l'accompagnement de piano ou les breaks de batterie, ce qui lui permet d'avoir une réelle compréhension du style be-bop et une grande précision d'écoute.
Le travail par "imitation" est très fécond. Dans diverses musiques de traditions orales, l'apprenti progresse en imitant le maître pendant des années. Cependant, le travail d'imitation peut vite montrer ses limites.
"L'apprentissage n'est pas seulement pouvoir imiter des modèles extérieurs, c'est tout autant savoir s'imiter soi-même dans une production mémorable. Car la répétition est garante de la possibilité de conserver l'idée qui en est digne, de capitaliser l'acquis, de conquérir le hasard en retenant le meilleur de son inspiration pour en disposer à l'envie". François Nicod (« la créativité de l'apprentissage de l'improvisation » le cahier du GCR Neufchâtel 1994).
2/écriture de chorus: c'est à dire la réalisation écrite de ses idées de création harmoniques, de ses phrases…
J'ai découvert cette pédagogie relativement tard, en 2006, à l'école Atla où l'un de mes professeurs à la fin d'un cours sur l'Anatole que j'avais travaillé (« Anthropology » de Charlie Parker) m'a demandé d'écrire un solo pour la semaine suivante. Au départ je n'avais pas réalisé la portée de ce travail. J'avais certes déjà entendu que certains maîtres du saxophone utilisaient cette technique, sans pour autant l'avoir appliqué. J'ai, ce jour-là, pris conscience que pour formuler ses idées, malgré toutes ses connaissances, il fallait les "coucher" sur le papier.
Appliquée à mes élèves cette technique leur permet, par exemple, de chanter une phrase qu'ils n'arriveraient pas à exécuter au saxophone et de la retranscrire par écrit pour la travailler dans tous les tons. Cela permet également à partir de ce "matériau harmonique", en fonction de l'accord, de réfléchir, de changer, d'enrichir, d'agrandir sa phrase.
En général, lorsque l'élève revient avec un chorus écrit, la première action est de l'accompagner au piano sur son solo pour qu'il puisse entendre le résultat. Puis ensuite commence l'analyse, et le "guide" que peut être le professeur pour lui montrer les chemins possibles qu'il n'aurait pas envisagé ou choisi.
En s'appropriant un maximum de "vocabulaire" (Sylvain Beuf), que représentent ces phrases, les chorus des improvisateurs seront plus riches. Ce travail d'écriture de chorus peut être étendu à la musique d'ensemble, ce qui permet en "situation" de réaliser la portée de son travail.
Mon rôle est également de permettre à l’élève de l’aider à garder des traces sur différents supports, l’écriture, comme l’enregistrement en sont des exemples.
3/création: écriture de composition.
Tout comme l’écriture de chorus, la composition est un axe très important de l’épanouissement du musicien. J’ai ressenti très tôt la nécessité de réaliser cet acte de création. Au départ je n’avais aucun moyen, aucun savoir ou technique et lorsque je reprend mes premiers écrits, j’arrive à peine à me relire. Cependant même si au départ, cela pouvait paraître désuet, peu abouti, il n’en demeure pas moins que ces compositions sont le socle de ma créativité d’aujourd’hui. Encourager mes élèves à se lancer dans la composition (même simple, une mélodie au départ que j’harmoniserai) permet d’accueillir, solliciter et exploiter les propositions des élèves ainsi que proposer une situation favorisant la créativité et l’inventivité.
Cela est structurant et motivant pour eux qui prennent ainsi conscience de leurs capacités d’expression.
Cela encourage l’élève à une certaine autonomie.